- Speaker #0
Je suis Polina Kosmadaki, je suis historienne de l'art, spécialiste du XXe siècle, je suis commissaire d'art moderne et contemporain au Musée Benaki à Athènes, commissaire des expositions et des collections de peintures au Musée Benaki. Je dirige depuis 15 ans des programmes de recherche auprès de l'École française d'Athènes, dont le programme, le laboratoire ethnographique, qui est à la source de l'exposition « Objets en question » pour laquelle on va discuter aujourd'hui.
- Speaker #1
Alexandre Farnoux, professeur d'archéologie et d'histoire de l'art grec à Sorbonne Université et ancien directeur de l'École française d'Athènes et partenaire du programme Laboratoire ethnographique, et en effet à l'origine de l'exposition au Quai Branly, et donc un programme de recherche de l'École française d'Athènes, du dernier quadriennal, quinquennat de recherche de l'école.
- Speaker #0
Si vous ne connaissez pas le musée Benaki, le musée Benaki est un des plus grand musée privé de la Grèce. C'est un musée historique encyclopédique avec des collections de l'Antiquité au XXe siècle. Il comprend cinq bâtiments et plus de 200 000 objets dans sa collection. Et c'est un musée qui aussi produit plein d'expositions en Grèce et ailleurs sur l'art grec, mais aussi l'art d'autres lieux, époques et milieux, dont l'exposition qu'on a fait en collaboration avec le musée du Quai Branly.
- Speaker #1
L'École française Athènes, comme c'est connu, est une École dont les programmes sont archéologiques, mais il y a aussi des programmes qui portent sur la Grèce moderne et contemporaine. Parmi ces programmes, les programmes qui ont uni l'école avec le musée Benaki en prenant comme objet d'étude en particulier l'histoire culturelle des relations entre la France et la Grèce au XIXe, mais surtout au XXe siècle, avant la Seconde Guerre mondiale et après la Seconde Guerre mondiale, il y a eu deux programmes sur Paris-Athènes qui ont été menés en collaboration avec le musée Benaki dans les années précédentes, les années 2010 et suivantes. Et à l'issue de ces collaborations, il est apparu qu'il restait encore des sujets à traiter, après avoir traité de manière un peu générale et globale ces deux périodes, qu'il y avait des acteurs qui méritaient un focus en particulier, et parmi ces acteurs... Un grec de Paris important qui s'appelle Christian Zervos.
- Speaker #0
En 2019, nous avons organisé avec Alexandre, on était tous les deux commissaires avec Christian Derouet, le troisième co-commissaire, une très importante exposition au musée Benaki, issue aussi d'un programme de recherche en collaboration avec l'école, sur Christian Zervos et sa revue moderne Cahiers d'art. À la suite de cette exposition, Le musée du Quai Branly s'est intéressé au sujet et nous a proposé de penser à une exposition du même ordre pour le musée du Quai Branly. Cette idée a évolué dans le programme de recherche, le laboratoire ethnographique et dans la proposition de l'exposition Objet en question, pour laquelle on a fait appel à deux autres commissaires, Effie Rentzou de l'Université de Princeton et Philippe Peltier, ancien conservateur au Musée du Quai Branly, anthropologue.
- Speaker #1
Dans la revue Cahiers d'art qu'on avait étudiée et mis en valeur dans cette exposition de 2019, on s'était rendu compte que c'était une revue qui, non seulement, mettait en scène de manière originale l'art grec antique, du néolithique, et jusqu'à l'époque classique, et que c'était ce changement de regard qui était intéressant, mais avec Paulina, on avait remarqué que ça ne concernait pas seulement l'art grec, ça concernait toute la question de l'objet d'art, qu'il soit grec, qu'il soit africain ou qu'il soit surréaliste. Et donc on avait conçu qu'il fallait sans doute réinterroger cette façon de combiner des objets et des œuvres d'art appartenant à des civilisations très différentes et les combiner ensemble dans une mise en page originaire qui est la cahier d'art. Et tous les deux, on savait que Zervos n'avait pas été le seul à faire ça, que d'autres revues l'avaient fait comme la revue Minotaure ou la revue Document. Et que c'était sans doute le trait de l'époque de l'entre-deux-guerres que d'interroger les objets en les faisant se rencontrer comme ça. Et c'est ça qui a généré l'idée de déposer un programme de recherche, dans les cas des programmes de l'école, sur cette question autour de l'objet. Qu'est-ce qu'un objet ? Et que faire des objets quand on reçoit des objets qui viennent d'Afrique, des objets qui viennent des fouilles, et des objets qu'il faut présenter dans les musées, comment les gérer ? Donc c'est ce développement qu'on a voulu explorer par des recherches dans les archives, en consultant des revues, et au musée Branly à Paris, a montré que le Quai Branly envisageait une exposition sur Cahiers d'art, dans les discussions qu'on a eu pu avoir avec la présidence du musée. Et qu'ils accueilleraient favorablement à une proposition d'exposition. Et donc on a constitué l'équipe pour pouvoir aborder tous ces aspects, puisque chacun de nous, finalement, nous représentions une des disciplines en cause dans cette question de l'objet. Paulina pour les avant-gardes, Effie Rentzou pour le surréalisme, Philippe Peltier pour l'éthnologie, et moi pour l'archéologie. Donc on s'est mis à quatre, chacun apportant sa compétence selon son domaine, sur qu'est-ce qui se passe dans l'entre-deux-guerres, dans nos disciplines, puisque c'est un moment où l'ethnologie, l'archéologie, les avant-garde et la muséographie des musées, convergent vers comment montrer ces objets. Est-ce qu'il faut les montrer comme des œuvres d'art ? Est-ce qu'il faut les montrer comme des documents ? C'est une question qui traverse toute cette période et qui nous a paru être une question qui reste une question d'actualité, même si aujourd'hui les disciplines se sont constituées de manière autonome et n'ont quasiment plus de croisements comme ça, comme il y en a eu dans cette époque.
- Speaker #0
On avait travaillé déjà avec Effie Rentzou dans le premier programme à Paris-Athènes. Et on a croisé Philippe Peltier au musée du Quai Branly, mais très vite, comme il connaissait très bien, il est spécialiste d'art océanien, et il connaissait très bien les collections du Quai Branly. Donc, il nous a introduits dans cet univers et il nous a beaucoup aidés avec la réalisation de cette exposition dans l'institution. Donc, très vite, nous avons connu... lui et son institution, on a très bien collaboré avec lui. Il faut dire aussi qu'avec Alexandre, depuis le programme Paris-Athènes, et après pendant les années de sa direction à l'École française d'Athènes, nous avons plusieurs fois utilisé cette manière d'approcher des problèmes théoriques ou pratiques des échanges entre la Grèce et la France, c'est-à-dire... creuser les archives, interroger les méthodologies, investir dans des collaborations avec de nouveaux partenaires et de nouvelles institutions, et adopter des modèles d'études pour expérimenter avec de nouveaux modes d'édition, de commissariat, pour essayer de trouver des manières de regarder notre objet d'études qui sont à la fois actuels et qui sont capables, pertinentes, de nous donner une nouvelle vue sur la question qu'on se pose.
- Speaker #1
La chance a été que la combinaison des programmes de recherche de l'École française d'Athènes, financés par l'École, le partenariat avec le Musée Benaki et avec le Quai Branly, a permis de faire un programme de recherche qui portait sur la recherche des archives, le dépouillement des revues, l'exploration des réseaux, de l'époque entre les intellectuels, les conservateurs, les collectionneurs, les marchands d'art, les galeries de Paris, tout un programme qu'on a mené tous les quatre, pendant deux ans, presque trois ans, de recherche, d'accumulation de documentation. Et la chance a voulu que cette documentation, on puisse l'exploiter dans le cadre d'une exposition un peu particulière, parce que ce n'est pas une exposition où on accroche les choses et puis il y a une espèce d'évidence, comme quand on fait une exposition monographique ou autre. On a voulu reconstituer dans cette exposition la rencontre des objets de l'époque. Et donc, la chance que nous avons eue, c'est que le Quai Branly nous a permis cette expérimentation, ce laboratoire. On a voulu que l'exposition soit comme un laboratoire, exactement comme à l'époque. Et c'est pour des chercheurs comme nous, c'est une façon un peu différente d'une exploitation qu'on fait d'habitude des résultats scientifiques, où on publie un livre, etc. Là, on a de manière concrète et réelle reproduit la rencontre des objets dans l'espace que le musée du Quai Branly nous a attribué. Ce qui fait qu'il a fallu traduire en termes d'espace la problématique qui était quand même assez abstraite au départ. Donc il a fallu la traduire concrètement pour qu'elle soit compréhensive par le public, avec pas trop de textes en même temps, parce que les expositions avec trop de textes ne sont pas de bonnes expositions. Donc il a fallu qu'il y ait une espèce d'évidence à la rencontre des choses, c'est la première chose. Et puis tout ce qu'on n'a pas pu mettre dans l'exposition parce que c'était trop abstrait ou ça supposait trop de textes, sera exploité par une autre manifestation qui aura lieu dans le cadre de l'École française Athènes au mois de mai.
- Speaker #0
Dans l'exposition, le visiteur verra des voisinages inattendus, repartis selon quatre ensembles qu'on appelle constellations, dans le sens où ces ensembles n'ont pas de suite ni de hiérarchie. Les objets sont à égalité d'importance et d'échelle entre ces quatre constellations, dont les constellations se réfèrent à des pratiques de ces trois champs disciplinaires qui sont l'ethnographie, l'archéologie et l'art moderne ou le surréalisme. Les quatre constellations sont le terrain, la fouille, le cadavre exquis et le double musée. Et donc, chacune d'entre elles, les objets sont repartis dans des assemblages inattendus. Donc, le visiteur verra des sculptures de Giacometti ou de Picasso, des peintures André Masson ou des photographies de Brassaï, à côté de masques africains ou de statues océaniennes, des idoles cycladiques ou des moulages d'un fronton antique, à côté des notes d'archéologues, de dessins stratigraphiques et de toutes sortes de documents qui témoignent des méthodes de collecte, d'exposition et de traitement de ces objets qui répondent à la question « qu'est-ce qu'un objet ? » à cette époque, comment on va vers lui, comment on le visualise, comment on va à sa recherche, comment on le collecte, comment on l'expose, comment on le publie, comment on le photographie. Donc le visiteur verra des exemples aussi bien illustrés que réels, concrets, qui répondent à ces questions.
- Speaker #1
La muséographie a été réalisée par Maud Martinot et elle a tout à fait compris, suivi, on a eu des échanges sur plusieurs propositions pour justement créer cette atmosphère de laboratoire qui repose à la fois sur un traitement de mobilier tout simple avec des tables, des cimaises qui sont traitées comme des parois sur lesquelles sont punaisées des espèces de notes sur papier blanc, avec des documents qui sont posés, des objets qui sont posés sur la table, exactement comme un espace de laboratoire où on manipule les choses et on les combine entre elles. Avec un éclairage qui est égal sur l'ensemble de l'exposition, c'est-à-dire que même les tableaux de Masson ou les sculptures de Arp n'ont pas un éclairage pour les mettre en valeur. Elles sont traitées exactement comme une revue qui est à côté ou comme des notes d'archéologues, puisqu'il y a des archives de l'École française qui sont exposées. Les photographies d'Antoine Bond dans son voyage dans le Péloponnèse, c'est exposé à côté de la statuette cycladique du musée du Louvre, mais avec le même éclairage parce que c'est ce qu'on a voulu reconstituer comme atmosphère. Le travail de la scénographe a vraiment permis de traduire cette idée du traitement égal des objets entre eux et c'est ce qui permet de leur redonner une espèce de fraîcheur. On redécouvre ces objets grâce à ces rencontres à égalité entre toutes les pièces.
- Speaker #0
Cette exposition retombe sur le genre de ce qu'on appelle dans le langage « essay exhibition ». Une exposition qui ressemble à une dissertation, qui prend position, qui incite à réfléchir et à peut-être modifier ses idées par rapport à une question, et peut-être même proposer une révision du discours historiographique par rapport à une époque. Donc, ce n'est pas seulement une proposition pour le public à penser différemment les objets et l'époque même, mais on pourrait dire que c'est le début d'une révision de l'importance de certaines choses pendant une époque historique contestée même, importante, ambiguë, conservatrice, mais aussi progressiste, qui suscite plein de points d'interrogation que sont les années 30 et l'entre-deux-guerres.
- Speaker #1
Oui, le projet était aussi, vis-à-vis du public, ce qu'on attendait aussi, c'est de sortir un peu des clichés, des évidences, des conventions dans la contemplation de l'art. C'était de rappeler que l'art grec a un certain nombre d'œuvres hyper connues, d'œuvres d'art, mais comment ces œuvres d'art sont construites aussi par une histoire historiographique, une histoire muséographique. Et en particulier, la dernière constellation sur double musée, c'est de rappeler au public que la présentation des objets a une histoire et que c'est souvent en présentant les objets dans les musées, d'une certaine façon, qu'on leur confère ce statut artistique. Et que si on modifiait les conditions d'exposition, ça modifie aussi leur statut artistique. Et la question du double musée, c'est une question qui s'est posée dans l'entre-deux-guerres, justement. C'est comment montrer les objets, soit comme des œuvres d'art, soit comme des documents. Et toute la question, c'est comment un document devient une œuvre d'art à un certain moment. Donc l'exposition a aussi pour but de proposer au public, non seulement de revenir sur le regard sur l'art grec ou le regard sur les arts non-européens, mais le regard sur l'objet lui-même. Qu'est-ce que c'est qu'un objet ?
- Speaker #0
L'exposition n'a pas pu voyager en Grèce ou ailleurs pour des raisons évidentes de prêt et de mobilité des œuvres, mais on voulait que les idées elles-mêmes et le discours voyagent. Donc, nous allons organiser un colloque international intitulé le laboratoire ethnographique comme le programme de recherche à Athènes du 22 au 24 mai 2025. Ce sera un colloque qui sera coorgannisé par l'École française d'Athènes, le Musée Benaki et le Centre de recherche athénien de l'Université de Princeton. Ce sera un colloque qui ressemblera l'équipe de recherche du programme et des chercheurs venant de France, de Grèce et des États-Unis, spécialistes sur les sujets traités par le programme de recherche et par l'exposition. Suite à ce colloque, il y aura un livre de référence qui rassemblera les textes issus du colloque et les images de l'exposition. Donc ce sera une sorte de catalogue de l'exposition et actes du colloque en un livre bilingue, on espère.
- Speaker #1
Ces journées d'études permettront de développer des aspects sur lesquels nous avons travaillé ou rassemblé des documentations et qu'on n'a pas pu mettre dans l'exposition. Donc ça permettra de garder aussi une trace de cette expérience muséographique que nous avons eue. Dans le cadre de cette journée d'études, il y aura une intervention du président du musée du Quai Branly sur des questions autour des objets, justement, dans le cadre des collections de ce musée, et qui permettra de reprendre un peu toute cette question dans une perspective muséographique qui est la sienne. Et ça donnera un peu à l'ensemble une dimension et il y aura l'occasion d'aller visiter l'exposition qui est actuellement au musée Benaki sur l'art africain. Le musée Benaki présente un certain nombre de pièces dans ses collections.