Speaker #0Laurianne Martinez Sève, je suis la directrice de la Délégation archéologique française en Afghanistan très nouvellement nommé. Moi même, je suis spécialiste de l'asie centrale à l'époque hellénistique et aussi de l'Afghanistan et plus particulièrement en Afghanistan, du site d'Aï Khanoum, qui est un des grands sites fouillés par la Délégation archéologique française en Afghanistan. La DAFA, délégation archéologique française en Afghanistan, fait partie du réseau des instituts de recherche français à l'étranger, ce qu'on appelle les IFR, qui dépendent du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Il existe 27 IFR en tout, qui sont présents dans 34 pays et qui constitue un relais important de la diplomatie scientifique et culturelle française. La DAFA a été créée en septembre 1922 et elle constitue donc l'un des plus anciens de ces instituts. Nous avons fêté son centenaire il y a peu de temps. Sa création résulte d'une initiative du roi d'Afghanistan, Amanoullah Khan, qui venait de monter sur le trône au moment où l'Afghanistan obtenait son indépendance. Amanoullah Khan souhaitait moderniser son pays, l'ouvrir au monde extérieur et le libérer de l'emprise anglaise. Et donc il s'adressa à la France pour créer un réseau éducatif et culturel et lui demanda de créer le Collège français de Kaboul, qui devint ensuite le lycée Esteqlal. C'était un lycée très important qui forma une grande partie des élites afghanes. La France avait aussi une grande expertise dans le domaine archéologique, notamment dans la Perse voisine. Et une convention fut donc conclue avec l'Afghanistan pour attribuer à la France le monopole des fouilles en Afghanistan, pour une durée de 30 ans, sur le modèle de cette convention avec la Perse. La DAFA fut alors créée pour assurer cette exploration archéologique du pays, et c'est Alfred Foucher qui fut son premier directeur. Alfred Foucher était un spécialiste reconnu de l'Inde, du bouddhisme et de l'art dit gréco-bouddhique, qui mélangeait influence grecque et bouddhique, ou ce qu'on appelle aussi art du Gandhara, du nom de la région qui est située actuellement à la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan, où cet art se développa. Fouché avait aussi dirigé l'école française d'Extrême-Orient et savait donc administrer, gérer une institution scientifique. La DAFA fut placée sous la tutelle de la commission des fouilles d'Afghanistan, qui dépendait du ministère de l'instruction publique, et elle réunissait donc cette commission des hauts fonctionnaires de ce ministère, du ministère des affaires étrangères, ainsi que des savants. Tous ces gens étaient pétris de culture classique, ils connaissaient les grands auteurs de l'Antiquité, ils avaient tous entendu parler des exploits d'Alexandre le Grand en Orient et justement en Asie centrale. Puisque, on sait bien que pour sécuriser les territoires conquis, Alexandre installa des troupes et des colons dont beaucoup étaient issus du monde grec. Il fonda des établissements militaires, tout un réseau de villes, dont certaines qui portaient le nom d'Alexandrie et plusieurs se trouvaient en Bactriane. donc une région qui est située au nord de l'Afghanistan actuel. C'était à cette époque une des plus riches de la région, autour de la grande ville de Bactre, qui est actuellement Mazari-Sharif. L'empire d'Alexandre ne survécut pas à sa mort et fut partagé entre ses successeurs, et au Proche-Orient, en Asie centrale, ce furent les rois Séleucides, du nom de Séleucos Ier, qui fonda la dynastie en 305 avant Jésus-Christ. Or, les premiers Séleucides furent très actifs en Asie centrale. Ils reconstituèrent tout un réseau de colonies et d'établissements militaires autour de la grande capitale régionale de Bactre, dont le nom apparaît à plusieurs reprises dans les écrits des historiens grecs et romains. Dans le courant du IIIe siècle, ces rois, les Séleucides, furent remplacés par les rois gréco-bactriens, qui étaient également d'origine gréco-macédonienne. Plusieurs familles se succédèrent au pouvoir, en Bactriane et en Inde du Nord-Ouest, où les rois gréco-bactriens firent des conquêtes. Ce sont des rois qui sont peu connus, sinon par de rares textes et surtout par de très belles monnaies qui figurent parmi les plus belles frappées durant l'Antiquité. Et donc c'est cette histoire que connaissaient les membres de la commission des fouilles d'Afghanistan et ils voulurent à tout prix retrouver les traces de la présence grecque en Asie centrale. Ils orientèrent donc en ce sens l'activité de la DAFA qui fut avant toute chose chargée de trouver les traces laissées par la présence grecque en Afghanistan. Cela va devenir l'objectif prioritaire pendant plusieurs décennies. Bactre fut choisi comme premier site d'exploration dans l'espoir de trouver les palais des rois grecs, mais le site était gigantesque et Foucher qui y travailla pendant 18 mois consécutifs en 1924 et 1925, dans des conditions extrêmement difficiles, il a même failli mourir, n'avait ni les moyens financiers ni les moyens techniques pour réussir. Et ce fut une grande déception. L'activité de la DAFA se concentra ensuite sur des monuments gréco-bouddhiques et bouddhiques, notamment sous la conduite de Joseph Hackin, qui était conservateur du musée Guimet, avec lequel la DAFA entretenait bien sûr des relations très étroites. Hackin assura la direction opérationnelle des travaux, tandis que Foucher toujours directeur de la DAFA, restait en France. Même si les monuments fouillés étaient plus tardifs, les découvertes qui furent faites à ce moment-là, mirent en évidence l'empreinte réelle de la culture grecque, notamment à travers cet art du Gandhara dont je parlais tout à l'heure. Après la guerre, la DAFA fut dirigée jusqu'en 1965 par Daniel Schlumberger. Daniel Schlumberger était un spécialiste du Proche-Orient hellénistique et romain qui avait travaillé de longues années en Syrie, à la direction du service des antiquités mis en place sous mandat français au Liban et en Syrie. Sa direction est un moment important pour la DAFA, qui devint une mission permanente installée à Kaboul. Daniel Schlumberger développa des recherches sur d'autres périodes que celles qui avaient été privilégiées jusque-là, notamment la période islamique, l'âge du bronze. Il fut aussi le découvreur et le fouilleur du grand sanctuaire de Surkh Kotal, qui est un sanctuaire dynastique des rois Kouchans qui furent à la tête d'un grand empire au IIe et IIIe siècles de notre ère. Plus encore que précédemment, les trouvailles qui sont faites à cette occasion mirent en évidence l'ampleur des influences grecques, notamment sur l'architecture, mais aussi l'écriture kouchanes. Il était donc évident que les Grecs avaient été présents en Bactriane. Restez à trouver un site qui le montre. Schlumberger eut la chance de les découvrir en 1964, mais un an seulement avant de quitter la direction de la DAFA et de la transmettre à Paul Bernard. Ce site s'appelle Aï Khanoum. Il est situé au nord-est de l'Afghanistan, dans une zone difficile d'accès, sur les bords du fleuve Amou Darya qui forme la frontière actuelle avec le Tadjikistan. Le site a été fouillé entre 1965 et 1978 et des découvertes exceptionnelles y furent faites. La DAFA en effet explora une ville grecque tout entière, dont le nom antique n'est pas conservé malheureusement. Les monuments se trouvaient juste sous la surface. Il y avait un palais, un théâtre, un gymnase, plusieurs édifices religieux, les remparts. C'est une découverte qui eut un grand retentissement. Les fouilles furent dirigées par Paul Bernard, ancien élève de l'école française d'Athènes, et Paul Bernard qui s'est consacré pendant toute sa carrière à l'étude de ce que l'on a longtemps appelé l'hellénisme oriental. Il était donc particulièrement armés pour prendre la direction des fouilles d’Aï Khanoum. La dernière campagne de fouilles eut lieu en 1978. En 1979, l'Afghanistan fut envahi par l'Union soviétique et depuis cette date, comme on le sait bien, les guerres, les difficultés se sont enchaînées pour le pays. Les activités de la DAFA furent même interrompues pendant une vingtaine d'années entre 1982 et 2003. Elles ont repris ensuite, mais le retour au pouvoir des talibans en 2021 explique que les activités de terrain aient cessé. La DAFA, qui a été recrée en 2003, est une toute autre institution que celle dont j'ai retracé l'histoire à grands traits. C'est devenu un institut de recherche dont les missions ne sont plus de découvrir les vestiges de la présence grecque en Afghanistan, même si, bien sûr, elle ne se l'interdit pas. Elle est restée jusqu'en 2021 l'interlocuteur privilégié du gouvernement afghan en matière d'archéologie, en coopérant de manière étroite avec le service des Antiquités de l'Afghanistan, en contribuant aussi à la formation des archéologues afghans et en s'investissant particulièrement dans la protection du patrimoine culturel afghan et la lutte contre le trafic des antiquités qui fait des ravages dans ce pays. Quand c'était possible, elle a repris une activité archéologique de terrain sur plusieurs sites, Bactre, Bamyan, Hérat, même Kaboul, et une activité ouverte sur toutes les périodes de l'histoire de l'Afghanistan. Mais du fait de son histoire et de profils de plusieurs de ses directeurs successifs, qui, comme on l'a vu, étaient spécialistes de l'Antiquité, beaucoup des recherches menées par la DAFA concernent le monde grec au sens large. Ces recherches sont publiées dans la collection des mémoires de la DAFA, qui compte 34 volumes actuellement. Après la disparition des éditions de Boccard, qui était l'éditeur historique de la DAFA, des solutions de remplacement ont dû être trouvées pour faire paraître les ouvrages suivants et Philippe Marquis, qui est donc mon prédécesseur à la tête de la DAFA, a proposé qu'une convention de coédition soit conclue entre la DAFA et l'École française d'Athènes et donc que les nouveaux volumes soient pris en charge par le service des publications de l'EFA. De cette façon, les mémoires de la DAFA conservent leur identité, restent la collection de références de la DAFA, mais ils bénéficient de l'expertise des éditions de l'EFA et de tous les outils mis en place au sein de cette institution, notamment les outils du numérique. Il est d'ailleurs prévu d'assurer la mise en ligne sur Persée des mémoires de la DAFA, qui seront ainsi plus faciles à consulter par les collègues étrangers. La DAFA devient ainsi l'un des partenaires de l'EFA, puisque la revue Topoi ou les Cahiers du Centre d'études chypriotes sont également édités par l'École française d'Athènes. C'est une ouverture qui est tout à fait cohérente avec la mission de l'École française d'Athènes qui est d'étudier l'hellénisme en Grèce, mais aussi plus largement dans les différents espaces géographiques où il est présent, dans les balkans ou en Méditerranée orientale. Cette ouverture s'inscrit aussi dans le mouvement de développement des réseaux de recherche. L'EFA est membre du réseau Confluence, qui rassemble des instituts de recherche localisés en Méditerranée orientale, dont l'Institut français du Proche-Orient, donc l'IFPO, qui est localisé à Beyrouth, ou le Centre de recherche français à Jérusalem, qui font tous les deux partie du réseau des instituts français de recherche à l'étranger, donc comme la DAFA. Les relations de l'école française sont aussi anciennes avec l'Institut français des études anatoliennes d'Istanbul, qui est un autre institut français de recherche à l'étranger. Alors bien sûr, l'Afghanistan est un peu plus loin vers l'Est et les domaines actuels de compétence de la DAFA débordent largement l'histoire de l'hellénisme. Mais l'expertise acquise par l'EFA dans l'édition scientifique, sa solidité et l'intérêt à développer des collaborations qui favorisent les partages de compétences, constituent de bonnes raisons pour la DAFA de rejoindre le réseau des partenaires de l'École française d'Athènes et permettre ainsi la bonne diffusion de ses recherches.